Après une énième visite à la petite épicerie du coin pour acheter quelques pommes, un dernier repas au snack du port, et une soirée pyjama sur Fakarêver, nous levons l’ancre, et entreprenons la traversée du lagon vers le nord. La difficulté: rien n’est cartographié une fois sorti du chenal, qui s’arrête à un mille nautique du village. On navigue à vue, en veillant constamment aux énormes cheminées de corail qui peuvent surgir à n’importe quel moment… Il faut donc que le temps soit beau, qu’il y ait un peu de vent mais pas trop, et que le soleil soit derrière nous. On est un peu stressé? Carrément! Même si Claude de Timshell nous a assuré qu’on les voyait bien, on n’en mène pas large au début de cette navigation particulière… Je suis juchée au pied du mât, jumelles à la main, les yeux plissés à la recherche de la moindre variation de couleur de l’eau, signe de changement de profondeur, et donc de remontée de patate. Nous avons le soutien des images satellite de Google, mais malheureusement très vite des nuages voilent les parties des clichés qui nous intéressent… Cela nous permet cependant de nous faire la main: « là il doit y avoir une patate à 2h – oui, je la vois!- ok, là y’a une zone plus claire à 10h – effectivement, je l’ai sur les photos ». Finalement ce n’est pas si compliqué… Je finis même par deviner (et gagner mes paris contre Vincent) à la couleur de l’eau la profondeur sous les coques… Mais on est contents d’arriver, c’est fatigant de faire la vigie…
Nous passons à côté de l’île aux oiseaux, petit îlot très boisé, sur lequel nichent de nombreuses espèces d’oiseaux marins: ça piaille au passage du bateau, mais on ne s’arrête pas, ce sera sur le chemin du retour!
Notre mouillage est proche de l’ancien village, déserté dans les années 70; la nature a repris ses droits, mais Vincent l’a retrouvé lors d’une de ses explorations:
(Vincent) Tiens des arbres à feuilles (ça change des palmiers!), cela voudrait dire que ça a été habité ? Une tâche verte fluo au milieu de la forêt.. c’est une maison!
Ici une deuxième avec une vieille 403 encore garée à côté. Cette maison-ci devait avoir une belle terrasse, on voit encore la barrière en bois travaillé.. Et ici ? Un cimetière avec quelques tombes. Là, un escalier qui mène à une maison qui a dû être démontée lors du déménagement au nouveau village… bref, me voilà transformé en Indiana Jones pour quelques instants, à imaginer les rues, le jardin que les restes de la tondeuse devaient entretenir…
(Leslie) On se rend compte que lorsqu’un motu n’est pas entretenu, les noix de coco pas régulièrement ramassées, cela devient rapidement une jungle impénétrable. De chaque coco peut naître un cocotier, les jeunes pousses sont partout!
Vincent initie les filles au secret du feu: il y a des restes de foyers utilisés par des ramasseurs de coprah, qui viennent passer quelques jours par mois sur le motu en face du bateau, nous en profitons pour brûler nos emballages. Vincent, ancien éclaireur maître de la fleur rouge, montre à Agathe et Cécilie, un peu impressionnées, comment construire un feu et le faire partir juste avec un briquet, tout en étant efficace pour qu’il ne fume pas. Elles construisent le leur, et au troisième essai c’est le succès! Elles assimilent les règles de sécurité à suivre pour ce genre d’opération, et pour finir la difficulté de l’éteindre: il faut plusieurs seaux d’eau pour venir à bout même d’un petit tas de braise …
Les fonds marins sont beaucoup plus décevants: on nous avait promis des flottilles de poissons, des nuées d’écailles, mais on ne voit rien du tout. La visibilité est très mauvaise, l’eau est trouble, on lève donc le camp au bout de deux nuits pour l’île aux oiseaux.
Nous cherchons où mouiller, en en faisant le tour, mais malgré les indications glanées sur les blogs, on ne trouve pas d’endroit peu profond et pas trop proche de l’île (le vent tourne dans tous les sens en ce moment). Dans un raffut étourdissant – les oiseaux commentaient en direct nos différents essais – nous abandonnons et nous dirigeons vers l’est, près d’une fausse passe (l’eau entre de l’océan, mais ce n’est pas assez profond pour qu’un bateau puisse y accéder) en espérant que l’eau sera plus claire. Cette fois on trouve un bon emplacement, on reste là – mais l’eau est toujours trouble, tant pis pour la pêche…
Nous rejoignons finalement l’île aux oiseaux en annexe: quinze petites minutes, la mer est plate, on file vite!
Le comité d’accueil est au complet: sternes blanche, fous à patte rouge, puffins, noddis avec leur petite tache blanche sur la tête anticipent notre arrivée par un tintamarre impressionnant. Nous accostons, et entreprenons le tour de l’île – il est demandé de ne pas s’enfoncer au milieu des arbres pour ne pas effaroucher les oiseaux. Nous finissons par nous accoutumer au bruit et aux odeurs, et nous nous émerveillons devant les oisillons duveteux des fous à patte rouge, énormes bébés dans leur petit nid; les oiseaux nichent partout: sur les rochers, sur le platier, dans les blanches hautes des arbres, à hauteur d’yeux… Ils ne sont pas vraiment effrayés par notre passage, ils nous informent poliment mais fermement qu’il s’agit de leur territoire, et qu’il est hors de question que nous nous y installions. Nous poursuivons notre route, apprivoisant les magnifiques sternes blanches, qui nous permettent d’approcher tout près d’elles, écoutant les différents cris pour en identifier leur propriétaire, pas évident du tout… Au bout de deux heures passées hors du temps et du monde, nous allons nager le long des récifs de l’îlot, où l’eau est bien plus claire: des requins pointe-noire viennent nous saluer, nous croisons un beau tétrodon, des coraux violets, une belle plongée!
Vidéo à venir, dès que la connexion internet sera meilleure
L’après midi, nous apercevons de loin une trombe d’eau, c’est impressionnant…
Un monocoque s’est installé non loin de nous – cela faisait quatre jours que nous étions seuls au monde-, Holnis, déjà aperçu à Maupiti. Son propriétaire, Jean-Pierre, est un vieux loup de mer qui a déjà fait un tour de monde en voilier il y a trente ans, à l’époque du sextant et des cartes… Il est parti de Porquerolles l’année dernière avec son nouveau bateau pour naviguer dans le Pacifique, et a plein de tuyaux à nous donner sur les Marquises, où il retournera fin janvier; il y a de fortes chances que nous l’y recroisions!
Nous commençons à étudier sérieusement la météo, car le temps file et nous sommes attendus à Rangiroa lundi: si nous apercevons l’atoll depuis le mouillage de l’est, la passe de Tikehau étant à l’ouest il faut quand même 10-12h pour passer d’un atoll à l’autre, s’il y a du vent. Mais il n’y en a plus du vent, depuis maintenant trois jours; c’est top pour les mouillages, le bateau ne bouge pas d’un poil, mais moins pour naviguer. Une fenêtre favorable s’annoncerait la nuit de jeudi à vendredi, avec 5-10 nds de vent (rien de folichon), nous décidons de retourner au mouillage de la passe, pour nous préparer à la traversée.
Avant de partir, nous rendons visite à la communauté du Jardin d’Eden, à l’est de l’atoll: il s’agit d’une communauté chrétienne, les Hong, dirigée par un « grand-père » de 93 ans, originaire de Taiwan, et qui prône un retour à la terre dans l’esprit d’Adam et Eve – avant la pomme… Cette communauté achète des terrains un peu partout dans le monde, et les cultive sur les bases de la permaculture et du bio; leur terrain à Tahiti a même été étudié par le ministre de l’agriculture polynésienne, et a donné des idées pour développer une agriculture durable sur les îles. Le produit des récoltes est revendu aux localités environnantes, avec un circuit court privilégié. Le site de Tikehau n’est plus occupé que par deux couples et leurs enfants, même si les infrastructures peuvent accueillir plus de 150 fidèles qui viennent une fois l’an; on nous en fait faire le tour, nous montrant les plantations de vanilles, de salades, de bananiers…
Le terrain aride du motu a été enrichi au fil des années par du compost et de la bourre de coco, finissant par former un humus qui retient l’eau et permet de nourrir des espèces qu’on trouve d’habitude sur les îles hautes, où l’eau ne manque pas. Un élevage de cochon est utilisé pour le compost – système que l’on avait vu au lycée agricole de Moorea; les poules font la chasse aux cafards, des arbres épineux et acacias ajoutent de l’azote à la terre, et sont plantés au milieu des herbes aromatiques – des solutions naturelles sont trouvées pour la plupart des problèmes. Nous repartons avec de belles salades fraîches et une magnifique papaye, mets rares aux Tuamotus!
Nous regagnons la passe sur un miroir: le ciel se reflète dans l’eau, on peut y distinguer chaque nuages, c’est magnifique, mais moins pratique pour guetter les coraux. L’eau est argentée, et c’est difficile de saisir les différentes nuances de bleus, avant-coureuses des changements de profondeur… A tel point que nous sommes pris de panique lorsque nous croyons voir des affleurements oranges devant nous – un récif! A gauche toute!! Mais lorsqu’une des patates fait un plouf en disparaissant, nous comprenons qu’il s’agissait de tortues qui prenaient le soleil…
Nous arrivons à bon port et retrouvons le paysage familier de notre arrivée à Tikehau: le petit village de pêcheurs, Timshel toujours à sa place, retour à la civilisation! Vincent s’arrange avec les pêcheurs pour leur acheter quelques produits de leur pêche du lendemain, et finalement, debout à 6h30, il les accompagne jusqu’aux pièges à poissons pour assister à leur capture…
(Vincent) Les parcs à poissons me sont présentés, avec d’abord le grand salon pour réceptionner les poissons – quel accueil – puis, accolée, la petite chambre plus intime. Ces deux salles sont en forme de cœur avec la porte d’entrée dans la pointe intérieure: les poissons peuvent entrer, puis ils suivent les bord et ne trouvent plus la sortie ! L’entrée de la chambre est dans la pointe du cœur du salon. Ainsi les poissons ont de la place dans la première « pièce » pour accueillir leurs copains et ils sont ensuite poussés dans la deuxième où ils seront pêchés. Le pêcheur met son masque, plonge dans la petite chambre, ça s’agite: quel outrecuidant vient dans cet endroit privé ? Il prend le harpon: une carangue, une deuxième, puis une troisième, bleue cette fois-ci. Et là ? Un ballon, un gros oursin ? Non, c’est un diodon: en cas de danger il se gonfle et et des épines se lèvent tout autour de son corps! Il est vite évacué. La suite se fera au filet, un pêcheur pousse les poissons dedans, l’autre le remonte rapidement gonflé de poissons de toute sortes: rouget, parai, et plein d’autres dont je ne connais pas les noms..
La caisse est remplie, on rentre! Ils m’offrent gentiment, à la polynésienne, de quoi nous régaler les prochains jours et remplir le congel… Nous apportons un gâteau chocolat-banane à partager à 16h, et Benoît, le pêcheur, est ravi!