Fakarêver est toujours… à Fakarava! Voilà bientôt deux mois que nous en avons franchi la passe, et c’est bien difficile d’en sortir… Plusieurs raisons à notre séjour prolongé s’entremêlent, des imprévus, des surprises, de belles découvertes, et d’autres nouvelles un peu moins réjouissantes…
Tout commence par un message reçu début mi-janvier: un couple sur Tahiti est intéressé par le bateau (nous venions de finaliser l’annonce avec David, notre broker), et souhaiterait vivement le visiter. Il est même prêt à venir jusqu’à Fakarava, puisque revenir à Tahiti n’est pas du tout dans nos plans: nous visons les Marquises! Nous décidons donc de les attendre à Rotoava, au plus prêt de l’aéroport. Commence alors une série de rebondissements au suspens insoutenable: comme notre bateau est en LOA (Location avec Option d’Achat: un leasing pour bateau) et que les potentiels acquéreurs souhaitent reprendre ce leasing, il leur faut d’abord soumettre le dossier à la banque propriétaire du navire pour qu’elle valide une éventuelle reprise du contrat de location; il nous faudra trois longues semaines entre la première prise de contact et la réponse – ce n’est pas pourtant une banque au rythme polynésien… Après la fébrilité des premiers jours d’attente – « les acheteurs arrivent dans trois jours, à vos balais, brosses et chiffons! – s’est installé un certain fatalisme – « Papa, c’est ce week-end qu’ils viennent? – Peut-être, on ne sait pas, on relance la banque, c’est probable, qui sait… », sans (presque) jamais nous décourager…
Puis, lundi 10 février, David, le broker de notre bateau, nous informe: « Fountaine Pajot (la marque de notre bateau) envoie un rappel pour toutes les trappes de sécurité (petits hublots dans la coque que l’on peut ouvrir à l’extérieur en cas de retournement) de ses catamarans produits entre 2012 et 2018: il y a eu plusieurs cas où leur vitre est tombée à l’eau». Bigre, oui c’est embêtant effectivement, ça veut dire que de l’eau peut entrer à flot par une des coques à n’importe quel moment (ces trappes sont juste à quelques centimètres au-dessus de l’eau et la moindre vaguelette frappe dessus) … C’était arrivé à un bateau ami de Lotus (un Lagoon avec le même fournisseur de trappes) l’année dernière, ce qui avait déclenché un premier rappel. Les précédents propriétaires de Fakarêver avaient alors fait vérifier attentivement les joints des trappes; mais il semblerait que ce soit insuffisant. Fountaine-Pajot envoie donc à tous ses bateaux des kits de sécurisations en attendant des trappes neuves, « livrés entre 5 et 8 jours ». Même à Fakarava? On va rajouter 2-3 semaines de délai hein…
Enfin, la veille de l’arrivée des acheteurs, qui ont enfin reçu le feu vert de la banque et viennent passer le week-end à bord, Vincent monte au mât en vue de notre départ prochain, et découvre à sa grande horreur que l’étai (le câble qui tient le génois et accessoirement le mât) a au moins cinq torons (petits câbles tressé formant le câble) qui ont cédé, sur les dix-neufs formants le-dit câble… C’est très étonnant pour un bateau de cet âge, et rien n’avait été vu lors de l’expertise en juin dernier… On appelle cette semaine l’expert et un gréeur, et ils sont formels: c’est grave, il faut sécuriser avec des drisses, revenir à Tahiti, par temps calme et grand voile en vent arrière (pour ne pas solliciter l’étai) ou au moteur pour changer tout ça. Le gréeur commande les pièces qui vont mettre un petit bout de temps à arriver…
Nous sommes donc toujours à Fakarava. Où sont les (bonnes) surprises et les (belles) découvertes? Un peu partout: nous avons signé vendredi le compromis de vente de Fakarêver avec ce couple de grands plongeurs et passionnés de navigation. Ils prendront notre beau bateau sous leur aile à partir de mi-juillet, pour d’abord continuer à naviguer avec leurs enfants en Polynésie, puis revenir dans quelques années à leur île d’attache: la Guadeloupe, d’où Fakarêver est parti il y a presque trois ans! Nous sommes ravis de le confier à une famille qui en prendra soin, et d’avoir une date de retour déjà prévue: cette visibilité va nous permettre d’organiser au mieux la fin de notre année sabbatique, qui approche à grands pas.
Puis nous avons appris à danser! Sophie (rencontrée dès notre premier jour à Rotoava, voir l’article précédent) nous a proposé de participer à des cours de danse de Ori Tahiti, la danse tahitienne; ce devait être un cours d’initiation, puis les semaines passant, nous sommes devenues assidues à nos deux cours par semaines: les filles le mercredi et vendredi, et moi le mardi et jeudi! Agathe prend le rythme rapidement, ses déhanchés de plus en plus fluides et percutants; Cécilie et moi sommes un peu plus raides, mais l’enthousiasme et la musique nous portent et décoincent nos hanches d’Occidentales… Varu, farapu, ope, toma, les noms des pas sont égrenés en tahitien par Diana, notre prof de danse formidable, et nous tentons tant bien que mal de faire des ronds, des huits, des balancements avec nos bassins tout en portant gracieusement nos bras avec un sourire à toute épreuve… Chaque geste compte, il faut garder le rythme dans les otea (danse rapide aux sons des tambours), et faire la différence entre le dessin de la lune et de la montagne lors des danses plus lentes, qui racontent toutes des histoires au spectateur. Diana danse avec une grâce et une simplicité touchantes, que l’on retrouve déjà chez ses jeunes élèves, dont la rapidité à reproduire les chorés m’émerveille…
La sédentarisation a du bon; nous redonnons un nom aux jours qui passent…
Nous prenons le temps: de marcher jusqu’au phare, et de rencontrer Mareana, une mamie qui vend des colliers de coquillage sur la route: elle nous accueille toute une matinée dans son fare pour nous apprendre à percer les coquillages, les enfiler pour former des fleurs et des poupées; elle répète aux filles de ramasser mêmes les coquillages moches, abîmés ou cassés, car ce sont des trésors qui attendent d’être révélés par des petites mains créatrices d’histoires – et parfois de poésie. Le chaton Chocolat participe à la bonne humeur de cette belle matinée…
C’est aussi l’occasion de faire du vélo: jusqu’à PK13 (nombre de kilomètres depuis l’église du centre du village), le long de la route qui file vers le sud, une bande de terre parfois large de 50 petits mètres entre l’océan tumultueux et le lagon merveilleux. C’est tout droit, tout plat; les filles retrouvent le rythme des pédales, apprivoisent le rétro-pédalage pour freiner, et nous avalons les kilomètres sous un beau soleil, au son des vagues qui se brisent sur les platiers, et des palmes qui bruissent sous le vent d’est. Au bout du chemin: une petite huilerie tenue par un jeune couple adorable, qui produit ses huiles de coco vierge et de tamanu. Nous laissons passer un grain en leur compagnie, ils nous parlent de leur toute jeune entreprise – à peine quatre ans – des techniques qu’ils utilisent, puis de leur fille qui est au cours de danse avec Agathe et Cécilie… Nous repartons avec un stock tout neuf d’huile de Tamanu, l’huile qui guérit tout ^^!
Nous passons le long de l’exploitation de fruits et légumes de Malika, ma pourvoyeuse bienfaitrice en produits frais depuis que nous sommes à Fakarava! Son neveu nous fait visiter les rangs d’aubergines, de concombres, de tomates, mais aussi les plants de pastèques et de vanille. Jeune entreprise elle aussi, en plein développement, elle fait venir la terre de Tahiti, mais l’entretien ensuite avec du compost, et mêle les différentes essences dans ses plantations pour qu’elles se nourrissent les unes les autres. L’oncle de Malika a aussi une petite pépinière de fruitiers, pour inciter les habitants à planter chez eux, et retrouver goût à cultiver leur jardin: il semblerait que depuis l’arrivée des bateaux de livraison depuis Tahiti, les Pomotus ont délaissé la culture de leurs terres, réputées pauvres et rocailleuses – l’île est posée sur du corail. Mais avec le climat chaud et humide des Tuamotus, tout pousse: bananier, papayer, citronnier, arbre à uru, on les retrouve tous! Mais il faut les planter, et les cocotiers restent encore très largement majoritaires.
Après les légumes, le poisson: nous avions déjà commencé à explorer le monde de la pêche à Hirifa, nous poursuivons nos découvertes avec plus ou moins de succès: la pêche aux rougets depuis le quai avec des lignes munies de plumes permet aux filles de faire de la trottinette avec les copines, mais nous en sommes à chaque fois retournés avec un petit poisson par personne – excellent au demeurant.
La pêche aux carangues depuis le bateau: c’est la guerre au mouillage de Rotoava pour de minuscules poissons, pris en étau entre les oiseaux en surface, et les carangues sous l’eau : attention, âmes sensibles, s’abstenir:
Vincent s’est alors interposé, prenant la défense du plus petit, et d’un coup de fusil a transpercé une magnifique carangue ! Premier chasseur sous-marin à pêcher sans se mouiller… Cet exploit n’a pour le moment pas été réitéré, les informations circulent vite dans la communauté sous-marine, et les carangues gardent maintenant une distance minimale avec notre navire… Nous apprenons à cuisiner les Nasons, ces curieux poissons au profil de Pinocchio: Sophie m’a détaillé deux manières de les préparer, avec photos à l’appui pour chaque étape! Et les filles adorent, profitons-en…
Elles adorent aussi jouer avec Kuranui, la fille de Sophie, que nous voyons régulièrement: chez elle, sur le bateau, à la danse, lors d’une soirée pizza-Reine des Neiges 2… Pendant que les parents ont de longues discussions autour de la vie en Polynésie, des difficultés que peuvent rencontrer les Français à s’installer ici, de la gestion des terrains à Fakarava, des histoires de famille… Nous faisons connaissance avec Tavita, le mari de Sophie, Pomotu inscrit sur une liste électorale pour les municipales, le grand sujet du moment, pas seulement à Paris… Avec là aussi des campagnes électorales complexes, des projets pour l’avenir, et des rivalités… Tavita fait également partie de l’équipe de Va’a de l’île, qui se prépare activement pour une première participation à l’Hawaiki Nui cette année! Il a proposé à Vincent une initiation à la rame demain matin, nouvelles courbatures en vue ^^…
Nous avons été tentés à plusieurs moments de changer de mouillage: descendre à Pakokota; aller vers la passe Nord. S’est présenté alors le dilemme du voyageur: à quel moment poser un peu plus longtemps nos valises? Faut-il continuer d’explorer, ou s’arrêter pour approfondir? Ne prend-on pas le risque de ne plus repartir? Un ou deux mois à Fakarava, est-ce une opportunité fantastique de vivre quelque chose d’unique, ou du temps perdu que l’on ne passera pas dans un nouvel atoll? Cette envie de flâner nous avait tenaillés à plusieurs reprises, nous avions déjà l’impression de nous attarder lorsque nous restions plus de dix jours sur la même île- il y en a plus de 180 en Polynésie après tout – mais les évènements ont décidé pour nous… Rester ancrer au même endroit, s’ancrer un peu plus dans une culture et un mode de vie, c’est sans conteste une nouvelle étape dans notre périple, à laquelle nous ne nous attendions pas, mais qui nous marquera autant que les précédentes, avec une atmosphère, un rythme et des odeurs inoubliables!